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Coup de projecteur sur les intervenants: Entretien avec Vincent Meyer

Dans l’édition de ce mois de notre série « Coup de projecteur sur les intervenants », nous nous intéressons aux recherches et perspectives précieuses de Vincent Meyer, intervenant principal. Vincent est professeur en sciences de l’information et de la communication à l’Université Côte d’Azur, en France, où il mène actuellement des recherches sur l’acceptabilité de l’innovation technologique dans le secteur social.
Fort de plusieurs décennies de recherche dans ce domaine, Vincent est devenu une voix de référence dans l’analyse critique de l’intégration des technologies dans le travail social.

En amont de son intervention principale, nous avons échangé avec lui sur l’acceptabilité sociale des technologies dans les services sociaux, ses recherches pionnières sur la nourriture imprimée en 3D à destination des personnes en situation de handicap multiple, ainsi que sur les implications éthiques de l’usage des outils numériques dans les services sociaux.

1. Dans vos recherches, vous explorez comment la transformation numérique impacte le travail social. Quelles sont, selon vous, les solutions numériques les plus prometteuses pour soutenir les personnes en situation de handicap et les populations vulnérables ?

Poser la question de la sorte, c’est donner une valeur morale aux technologies qui équipent cette transition digitale et ouvrir la porte à un solutionnisme technologique surtout en termes de promesses. Ce n’est pas mon approche de recherche en sciences humaines et sociale. Celle-ci consiste à décrire au plus proche des besoins et demandes des publics en situation de handicap, de fragilité et/ou de vulnérabilité, la nature pervasive de ces technologies i.e. comment elles entrent dans nos vies, préforment les interactions avec ces publics et transforment les professionnalités dans ce domaine.

2. À mesure que les outils numériques sont de plus en plus intégrés aux services sociaux, quels types de formation ou de développement des compétences considérez-vous comme les plus essentiels pour les professionnels du secteur social ?

Cette question de la formation (initiale et continue) est essentielle et dépasse les réponses classiques en termes d’inclusion ou de médiation numérique. Elle concerne autant les travailleurs sociaux dans leurs accompagnements que leurs responsables dans leurs fonctions de décision et de direction. Les marges de progression sont encore sensibles en France. Face aux développements en cours, nous sommes toutes et tous d’éternels apprentis. Concernant les établissements et services sociaux et médico-sociaux, l’enjeu est surtout de saisir quels sont – concrètement et effectivement – les accès, usages et les appropriations tant des personnes accompagnées que des professionnels. En formation initiale, il faut sensibiliser aux enjeux et défis de la transition digitale notamment son impact sur : des formes de contrôle, les questions d’autonomie et celles d’une désinstitutionnalisation. La formation continue, elle, devrait davantage porter sur la mise en œuvre de « plans d’action numérique » propre à chaque prise en charge ou situation professionnelle selon les secteurs et publics.

3. Dans votre présentation, vous souhaitez mettre l’accent sur l’acceptabilité sociale des solutions technologiques dans les soins de longue durée. Comment évaluez-vous l’acceptabilité sociale de la technologie dans les services sociaux ?

Premier constat et non des moindres : diverses technologies numériques (du non-humain) pour des publics en situation de handicap, de fragilité et de vulnérabilité sont maintenant intégrées et même promues comme solution complémentaire aux pratiques professionnelles (humaines) existantes. C’est donc d’abord avec les services sociaux qu’il faut évaluer leur acceptabilité. Dans le cadre de mes recherches, je propose une grille d’analyse portant sur six éléments à problématiser : les dispositifs sociotechniques (de quelles technologies parle-t-on ?) ; les pratiques (les solutions que ces technologies nous proposent « idéalement ») ; les publics (qui sont effectivement in fine les bénéficiaires ?) ; l’accès (celui du prix à payer, à la possibilité de tests, aux efforts et temporalités en accessibilité comme aux informations le caractérisant) ; l’appropriation (quelles controverses : interprétation des risques, des obstacles et freins, des « surestimations » comme des incertitudes) ; les usages (ou non-usages i.e. les prises en main effectives dans un temps social donné comme leurs possibles détournements et/ou les abandons).

4. Quels sont, selon vous, les principaux obstacles à l’intégration réussie des technologies numériques dans les systèmes de services sociaux existants, et comment peut-on les surmonter ?

Pour être volontairement provocateur, il n’y a plus vraiment de barrières. Ces technologies sont déjà là/partout et équipent tous les champs professionnels. les technologies numériques vont sans doute réussir ce que personne n’aurait osé vraiment imaginer comme évolution en travail social i.e. une gouvernementalité algorithmique pour assurer une autre gestion du social en actes ; un transfert des compétences humaines dans les plates-formes, les applications et dans l’Internet des objets assurant une prise en charge H24 et couvrant autrement les légitimes aspirations de chacun à l’autonomie et, par voie de conséquence, toute réflexion sur ce qui pourrait être une désinstitutionalisation des services et établissements sociaux.

5. En vous appuyant sur votre projet de recherche récent, pourriez-vous nous en dire plus sur le projet ANR Deal4hand ? Qu’est-ce qui vous a conduit à explorer l’intersection entre l’impression 3D, le design alimentaire et les personnes en situation de handicap multiple ?

Ces travaux en co-innovation avec l’INRAE Clermont-Auvergne – financés par l’Agence nationale de la recherche dans le cadre d’un appel à projets Sciences avec et pour la société : ambitions innovantes – portent sur l’acceptabilité sociale de l’impression 3D alimentaire pour des personnes en situation de polyhandicap. Cette technologie numérique encore peu étudiée et développée dans le domaine de l’alimentation permet d’ores et déjà de répondre autrement à divers besoins nutritionnels (textures, compositions et saveurs), à la qualité/quantité des nutriments, aux problèmes de mastication/digestion et, plus largement, à la diminution de l’appétit notamment en lien avec le design alimentaire (e.g. nourriture mixée). Ceci est d’autant plus intéressant que concevoir des aliments à consommer par impression 3D (fabrication additive de pièces comestibles) relève pour beaucoup encore d’un tabou alimentaire. La France, pays de la gastronomie s’il en est, est sans doute un terrain d’excellence pour éprouver ce procédé comme ses promesses. Un procédé dont on ne peut prédire encore ce qu’il révolutionnera dans le « manger mieux de demain », mais pour lequel, nous avons la possibilité, en interdisciplinarité (entre sciences du vivant, sciences de l’ingénieur et sciences humaines et sociales), de mettre au jour, dès ses débuts, son acceptabilité sociale auprès d’un public encore trop peu pris en compte dans les recherches actuelles. Ainsi, le projet Deal4hand « Design numérique d’aliments fonctionnels à destination de personnes en situation de polyhandicap : une innovation socialement acceptable ? » est-il une recherche-action qui se fonde sur les possibles applications du design numérique (impression 3D, design génératif) pour concevoir et réaliser des aliments fonctionnels dans une optique de (re)nutrition personnalisée de personnes adultes polyhandicapées vivant en foyer d’accueil médicalisé. Pareille technologie numérique permet surtout d’éprouver in situ et de discuter la grille d’analyse d’une acceptabilité sociale comme exposée supra, ceci au plus près des besoins et demandes de ces personnes dans leur quotidien en institution et via un recueil de données qualitatives.

6. En vous projetant dans l’avenir, comment envisagez-vous le futur des outils numériques dans le travail social et les soins ?

Il nous faut penser ce qui fait vraiment « plus-value » pour un travailleur social dans cette transition digitale. La penser, pour et avec leurs publics et mettre en discussion l’acceptabilité sociale de ces « innovations » (depuis les robots d’accompagnement, l’Internet des objets, en passant par les procédés de réalités virtuelles et/ou augmentées…). Ce faisant, nous allons apprendre beaucoup sur les prises en charge de nos vies entre contrôle, standardisation comportementale et hyperpersonnalisation. Sans doute, les établissements et services sociaux comme leurs professionnels doivent-ils se garder de parler d’une technologie numérique – qui simule, représente, remplace des fonctions, est en service H24 voire effectue des activités difficiles ou pénibles à leur place – comme d’un humain. Sans doute doivent-ils garder leur libre arbitre et opter (aussi) pour une attitude d’attente, de renforcer dans cette transition digitale leur « conscience professionnelle » en déployant une intelligence de situation (i.e. revenir au « discernement » ; les technologies numériques n’ont pas encore la possibilité de mesurer les conséquences éthiques et morales de leurs fonctionnalités et recueils de données. Sans doute enfin, ces développements sans précédent d’un travail social à l’ère du numérique, nous condamnent-ils selon la belle formule du philosophe français Michel Serres (1930-2019) à « devenir intelligents ».

Le travail du professeur Meyer nous invite à aller au-delà des notions d’efficacité et d’innovation, en nous incitant à adopter une approche critique quant à la manière dont les outils numériques sont vécus et utilisés dans le secteur social. En mettant l’accent sur l’acceptabilité sociale comme cadre d’analyse, il nous pousse à repenser les rôles des professionnels ainsi que ceux des technologies qui les accompagnent.
Le professeur Meyer analyse de manière critique l’impact des outils numériques, la façon dont ils influencent les interactions des personnes qui les utilisent, et comment ils transforment les pratiques professionnelles. Cela nous amène, en définitive, à une réflexion approfondie sur ces enjeux, et souligne l’importance de la co-construction, de l’éthique et d’une approche centrée sur la personne.

Rejoignez-nous cette année à l’ESSC à Aarhus, au Danemark, pour écouter des intervenants inspirants et découvrir comment les approches de bien-être relationnel et les technologies sociales façonnent l’avenir des services sociaux.

For more information about Vincent’s work please follow the links below:

https://www.leh.fr/edition/p/design-des-lieux-et-des-services-pour-les-personnes-handicapees-9782848741666

https://www.leh.fr/edition/p/images-troublees-realites-morcelees-alzheimer-incarnation-du-mal-vieillir-9782848743370

https://www.leh.fr/edition/p/les-technologies-numeriques-au-service-de-l-usager-au-secours-du-travail-social-9782848745671

https://www.leh.fr/edition/p/transition-digitale-handicaps-et-travail-social-9782848747033

https://www.editions-eres.com/ouvrage/4593/lavenir-du-numerique-dans-le-champ-social-et-medico-social

https://www.istegroup.com/fr/produit/dictionnaire-du-numerique-2/

https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/B9780323917421000039